Certaines personnes ont une conception extensive du temps. Sans l’exprimer formellement, elles se rapprocheraient de la pensée de Bergson. En m’annonçant un rendez-vous à 21h15 au bar du Four Seasons, ma bergsonienne du soir évoque plus des retrouvailles dans un halo se situant autour de 21h15, plutôt que dans les deux minutes comprises entre 21h14 et 21h15. En attendant, je gagne du temps et je lis mon New York Magazine. Je gagne doublement du temps grâce à Adam Platt qui rajoute quelques vestes à la dandyesque garde-robe, déjà bien fournie, de Graydon Carter. Je n’irai pas au Waverly Inn, le restaurant que s’est offert le patron de Vanity Fair dans Greenwich Village. Il y reçoit ses amis les vedettes et les pékins -comme Adam Platt et moi- s’il reste de la place, événement très improbable. Même AP a du jouer de ses relations pour avoir une place pour éviter un second échec. I didn’t actually beg to get my table at the Waverly Inn. I had other people do it for me. Conclusion: For a semi-private club, it’s not bad. When the Waverly finally opens for business, the food won’t taste half as good.
Ami lecteur, dépasse la tête horrifique de Joël quand, juste avant de rendre l’antenne tous les matins sur France 3, il te dit, tous yeux globuleux dehors, “Et bon appétit bien sur”. Gault et Millau l’avaient bien qualifié de “cuisinier du siècle” mais j’ai beau retourner ce titre de beauté dans tous les sens, je n’y comprends rien. Henri Gault et Christian Millau étant tous les deux nés en 1929, je doute qu’ils aient eu la chance de goûter les cuisines d’Escoffier (mort en 1935) ou de la Mère Blanc (morte en 1949). Patricia Wells, en bonne américaine amoureuse des superlatifs, a parlé de “meilleur cuisinier du monde” à propos de J.R. Je me moque de Patricia mais je signale qu’elle a écrit un des livres les plus simples et les plus accessibles sur la cuisine provençale, une mine quand vient le moment de cuisiner pour ses amis les beaux jours revenus, soit toute l’année grâce aux prouesses détraquées du réchauffement climatique.
Au-delà des titres et des médailles, je vous avouerai une certaine admiration pour J.R. et je nourrirai le regret éternel de n’être jamais allé dans son restaurant de l’avenue Raymond Poincaré. J’avais vu un documentaire -de mémoire tourné par des japonais- dans lequel on voyait le soin extrême qu’il attachait à chaque détail. Dans ses cuisines, marmitons et cuisiniers exécutaient en silence l’impeccable partition du chef. Je retrouve la même sérénité quand, confortablement assis au bar de L’Atelier, je regarde la limpide chorégraphie de ses disciples préparés notre dîner. Derrière l’absurdité des titres, la collection Cuisinez comme un grand chef représente certainement un des musts de la littérature culinaire. Joël vous prend par la main, ne vous laisse jamais tomber en cours de route –contrairement à un Ducasse qui vous sème des la première phrase- pour vous aider à préparer des plats simples et excellents.
Au moment de m’asseoir, je crois apercevoir un billet d’un dollar que je m’empresse de ramasser et que je remets à notre hôtesse dans un geste conditionné d’honnêteté. J’avais loupé deux zéros et quelques épaisseurs. Il y avait au moins deux billets de 100 dollars. Pour me remercier, la maison nous offre deux coupes de champagne. La soirée commence bien.
Après Las Vegas en novembre 2006, deuxième visite à L’Atelier de Joël Robuchon. Entre le Nevada et New York et en quatre mois, les prix ont décollé. De tête, 50% d’augmentation pour le Tasting Menu. Lundi, nous serons modestes. Nous aurons la cruelle tâche de choisir quatre petits plats format tapas. I. veut tout prendre.
Apres ces apéritives considérations, A table!!!!
Dans mon assiette:
L’aubergine
Le calamar
La Saint Jacques
Le ris de veau
Cinq petites parts de tartes
Ils aiment bien les articles définis chez Robuchon. Ceux-ci sacralisent le produit, la star de votre assiette.
Comment donner de la noblesse à l’aubergine, corps spongieux un rien amer? Robuchon la sert froide et l’accommode avec de la mozzarella sous la forme d’une petite tour -pour ne pas parler d’un mille-feuille- qui s’élève sur trois niveaux seulement. Bien sur, rien ne remplace la félicité d’un morceau de mozzarella fraîche servie avec un peu de sel et un filet d’huile d’olive. La ronde des plats commence bien, tout en légèreté, après une cuillerée de parfait au foie gras servi dans son verre a vodka.
L’assaisonnement a toute son importance pour les calamars, céphalopodes qui ne tranchent pas par leur goût. Ici, il joue comme un grand second rôle avec efficacité et discrétion. Fermez les yeux et pensez à Charles Denner. Accompagnent l’ensemble des artichauts pour la touche verte et des lamelles de chorizo, petits coups de soleil salé.
Si bien cuite, la Saint-Jacques vous fait sourire de contentement. Préparée au millième près, elle évite les écueils du genre. Une seconde de plus et elle glissait vers les terrains dangereux du caoutchouc comme 99% de ses collègues au restaurant. Une seconde de moins et elle était prête pour finir dans un sushi bar. Ma Saint-Jacques à moi sent la mer, voire une certaine idée de la mer avec son beurre clarifié.
Je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de fréquenter le ris de veau depuis un souvenir ému au Grenadin. Une, deux, trois bouchées suffisent à peine à ratrapper le temps perdu. J’aurais du doubler la mise pour doubler le plaisir de ce mets rare.
J’ai souvent privilégié cette formule mais je me pose des questions sur l’opportunité de choisir la petite farandole de desserts. Ne vaut-il pas mieux prendre le risque d’une déception ou d’une très grande joie plutôt que de retenir des bouchées de satisfaction ou de frustration? Lé, cinq petites parts insuffisantes pour se laisser envoûter. Je ne comprends pas la logique de sa tarte aux pommes, mélange inabouti de flan et de compote; lé ou j’attendais une relecture de la tarte fine. J’aurais du succomber aux charmes profonds de la tarte au chocolat dont deux petits morceaux ne suffisent pas à me faire apprécier toute l’amère profondeur. Comme si je devais nager un 50 mètres dans une pataugeoire.
Comme j’avoue à notre interlocutrice ma passion pour la tarte au citron et par extension pour tout dessert au citron, elle nous apporte deux macarons jaunes -gourmandise si rare à New York-, en sus des mignardises (macarons et cannelés) d’usage.
L’Atelier de Joël Robuchon
Four Seasons Hotel
57 East 57th Street (between Park and Madison Ave)
New York, NY 10022
+1-212-758-5711
http://www.fourseasons.com/newyorkfs/dining.html
J’ai été un peu long mais Joël le valait bien.